Il existe un mot en Yoruba, Ashe’, signifiant « Amen » ou « qu’il en soit ainsi ». Il désigne la capacité de faire changer les choses, de transformer les rêves en réalité. C’est cette force mystérieuse qui alimente le lien entre toutes les personnes d’origine africaine, en particulier celles dont les ancêtres ont survécu aux horreurs de la traite transatlantique des esclaves. Ceux dont les chants de lamentation sont devenus le blues et dont les danses de joie face au désespoir ont été des démonstrations de leur grâce, du ballet au boogie-woogie en passant par le hip-hop et au-delà. Ceux dont la souffrance et le travail ont financé le monde occidental et dont l’art, subversif et rebelle, créé dans des atmosphères oppressives et subjuguantes, s’est façonné et transformé en l’une des principales influences culturelles du monde. L’océan Atlantique est un lac culturel dont le port principal est la côte ouest de l’Afrique, d’où il exporte depuis des centaines d’années son esthétique d’africanité, se répandant à travers l’océan dans des bateaux d’esclaves courant devant les alizés à travers les îles des Caraïbes jusqu’aux ports comme La Havane, à Cuba, où il disperse sa cargaison humaine à travers les Amériques. Arrachés à leur terre ancestrale, pour être disloqués et déracinés corps et âme à jamais, ils sont les ancêtres de chaque Noir né dans le Nouveau Monde. Pour guérir leurs blessures psychiques, ils ont mélangé leurs idées et leurs croyances disparates et ont créé une culture commune. La manifestation de cette culture commune est la Diaspora Africaine.

Cette parenté et cette connexion, ce sens élargi de l’espace, de la géographie, de l’histoire et de l’imagination sont les ingrédients de l’africanité qui façonne la création artistique de tous les côtés du bassin atlantique, créant un art en opposition aux cultures dominantes saturées de racisme et de colonialisme. Comme le note Maboula Soumahoro, spécialiste des Africana studies, «Les Africana studies, discipline universitaire spécialisée dans l’étude systématique des peuples d’origine africaine à travers le prisme de l’histoire, de la géographie et de la culture, sont apparues comme un domaine d’études spécifique assez récemment... elles constituent une tentative de placer le continent africain au centre de toutes les préoccupations... elles reconnaissent l’Afrique comme le lieu de tous les départs et de tous les retours ultimes».

Aujourd’hui, cette esthétique spirituelle, résiliente et éthérée est comme un virus agité qui cherche des hôtes accueillants dans des endroits comme Bahia, Londres, Accra, Toronto, Lagos et Brooklyn. Née de la souffrance et nourrie de l’oppression, elle se crée à partir de la complexité et de la multiplicité des improvisations d’une expérience vécue collectivement. Nous recherchons des conteurs, les New Griots, qui créent leurs récits à partir d’un point de vue afro-atlantique. Des récits nouveaux, complexes, expansifs, qui ne se contentent pas d’expliquer qui nous sommes, mais célèbrent notre retour à nous-mêmes. Qui explorent et découvrent notre africanité. Des récits qui s’adressent à nous-mêmes ainsi qu’aux autres, des récits dans lesquels les vies noires ne sont pas simplement importantes, mais essentielles. Ashe’

Carlyle Brown, Dramaturge et co-comissaire du programme Cultural Diaspora